Les tics de langage
POURQUOI UTILISONS-NOUS DES TICS DE LANGAGE ?
- La peur du silence
Le silence fait souvent peur. Il nous renvoie au vide, à un vertige. Les mots parasites ont dans ce cas pour fonction de combler un silence pour maintenir la conversation sans laisser de blanc.
- Le désir de nouer du lien
Je vous partage une anecdote de coaching. En décembre dernier, je fais travailler un brillant orateur en individuel sur un discours politique. Celui-ci me montre sa dernière prise de parole à la TV. Il est sur scène, face au public, son discours est posé sur son pupitre, sous les yeux.
Pourtant, l’orateur prononce des dizaines de “euh...”.
Je l’interroge :
“Pourquoi prononcer autant de “euh” et paraître aussi hésitant, alors que tu as tout ton discours écrit sous les yeux ?”
Il me répond alors ceci :
“C’est pour avoir l’air plus vivant, plus spontané, plus naturel ».
Les mots parasites ont ici pour fonction de mettre du liant et d’ajouter de l’expressivité.
Ce sont des mots qui ont une connotation familière. En les employant, nous avons la sensation de créer une relation de proximité.
Cela me fait penser à mon ami Charles restaurateur, qui m’a récemment raconté qu’il incitait ses serveurs à glisser l’adjectif “petit” pour créer une complicité entre l’équipe et le client.
C’est le fameux : « vous prendrez bien un “petit” dessert, un “petit” café ? »
Les mots parasites que j’entends le plus souvent sont les suivants :
- un petit
- du coup
- voilà
- c’est clair
- en fait
- à la base
- hyper
Avec « petit », mes chouchous sont…
- du coup
- “Vous voyez ce que j’veux dire” ; ou “Tu vois”
Roman Jakobson dit que ces mots ont une fonction « phatique ». Jakobson est un penseur russo-américain, l’un des linguistes les plus influents du XXe siècle.
Selon lui, les mots parasites permettent de « garder le contact avec l’interlocuteur». Autrement dit, toutes ces expressions servent, non pas à transmettre une information ou à véhiculer de l’émotion, mais à maintenir le contact.
C’est comme le “Allo vous m’entendez ?” : nous nous assurons que la communication passe bien.
Mes deux mots parasites favoris
1) UN PETIT
Comme je vous le disais avec l’anecdote du restaurateur, nous employons souvent cet adjectif “petit” pour son don d’installer une familiarité.
- un petit café,
- un petit call,
- une petite réu,
- une petite recherche…. cette « petite » recherche demande peut-être en réalité plusieurs semaines de travail !!
Allez, un rappel ne fait jamais de mal 🙂
Petit vient du latin *pittitus, exprimant la petitesse.
Plongeons ensemble dans les divers acceptions de “petit”
- Qui a des dimensions moindres que la taille moyenne : Un petit cheval.
- Se dit d’un commerce, d’une entreprise qui a peu de personnel, peu de chiffre d’affaires ; Préférer les petits commerçants aux grandes surfaces.
- Qui est peu connu : Un petit vin.
- Qui occupe un rang inférieur dans l’échelle des valeurs sociales, qui reçoit une faible rémunération : C’est un petit fonctionnaire.
- Avec une valeur affective, peut indiquer l’importance d’un détail, de ce qui pourrait passer inaperçu : Avoir de petites attentions pour son mari ; l’amitié, l’affection : Salut, petit frère ! ;
- Le goût pour quelque chose : Préparer de bons petits plats ;
- Qui manifeste de l’étroitesse d’esprit, de la mesquinerie : Un esprit petit.
En dehors de ce contexte, “petit” est une formule DÉPRÉCIATIVE qui MINIMISE le contenu du discours.
Une overdose de l’usage de “petit” est souvent interprétée comme un manque de confiance.
Mon deuxième chouchou est :
2) DU COUP
Eh oui, “Du coup”, vient de “colpus” en latin, qui veut dire… soufflet !
Et nous l’entendons souvent.
- «On ne sort pas ce soir. On fait quoi du coup ?»,
- «il ne veut pas manger de salade, du coup je fais des haricots»,
- “alors, du coup”
- “Du coup, tu t’appelles comment ?”
- “Du coup, on s’en va ?”
- “Du coup, tu aimes les nouilles ?”
Replongeons dans le sens premier de “du coup”.
- «Du coup» peut s’employer au sens propre.
–> Exemple: «Un poing le frappa et il tomba assommé du coup.»
2. On le retrouve, correctement utilisé, pour exprimer la conséquence quand il y a «l’idée d’une cause agissant brusquement».
–> Exemple: «Son moteur a explosé et du coup sa voiture a pris feu.»
Si vous remplacer « du coup » par « aussitôt » et que votre phrase demeure logique, vous êtes dans le vrai ! «Aussitôt» est un bon équivalent sémantique de « du coup ».
En dehors de ces deux sens, «du coup» est incorrect et son emploi relève de l’abus de langage.
Ce n’est PAS un synonyme de «donc», «de ce fait», «par conséquent», “finalement”, “évidemment”, “à la suite de quoi”, “nécessairement”, “dans ces conditions”, “au final”, “en fin de compte” …
Mais alors, quel est le risque d’employer ces mots ? Sont-ils vraiment « parasites » ?
Le risque est de les employer de façon trop récurrente.
Dans mes stages en prise de parole en public, j’enregistre à la caméra les prises de parole de chacun pour conscientiser l’emploi des mots parasites.
En seulement 2 minutes de prise de parole, j’entends parfois 10, 14, 20 utilisations de “euh”, “voilà”, “du coup”, “un peu”.
Tiens, je note qu’il n’y a justement aucun silence dans ces cas-là.
Quel est le risque pour la qualité de notre discours ? Pourquoi dit-on que le discours perd en impact ?
- L’abus de mots parasites est la conséquence de l’absence de silence. Sans silence, difficile de nouer une relation de qualité avec notre interlocuteur. Sans silence, on ne lui laisse pas le temps d’assimiler le discours. Sans silence, le discours perd en rythme et en variations.
- Souvent, les phrases sont trop longues : les subordonnées et propositions relatives sont sans fin. Il n’y a pas de pause, et les seuls liants sont les « euh ».
- Les “euh” et mots parasites nous décrédibilisent auprès de l’interlocuteur. Cela donne un sentiment de non-préparation et d’hésitation. Nous manquons d’envergure, de charisme et d’autorité.
- Le discours est imprécis : les mots parasites diluent l’information essentielle. Le bruit, le brouhaha du flux de parole noie le poisson, on perd l’essence du discours. Souvent, je remarque que les liens logiques ne sont pas nets et que le discours n’est pas assez synthétique.