Imager sa prise de parole
Comment enrichir son vocabulaire dans ses prises de parole ?
Créer ses images est une arme pour bannir le langage terne et anonyme. Prenons les tropes. En grec, tropê signifie « ce qui tourne », « ce qui change de sens », c’est-à-dire aussi bien de direction que de signification. Pensez au tropique, qui est la ligne parallèle à l’équateur où l’inclinaison du soleil s’inverse au moment du solstice.
La puissance évocatrice de LA MÉTAPHORE
La métaphore est un trope. Une métaphore désigne une chose en employant un autre mot que celui qui conviendrait. Par analogie, on associe deux choses qui nous semblent similaires.
Par exemple, lorsqu’en mai 2010, Jean-François Copé affirme n’avoir rien à reprocher aux agences de notation qui viennent d’abaisser les notes de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, il justifie ainsi sa position :
« La question n’est pas celle du baromètre. La vraie question à mes yeux, c’est que dans ces moments-là, c’est les politiques qui doivent faire leur boulot. »
Désigner les agences de notation par le terme de « baromètre » souligne l’absurdité d’incriminer les agences de notation, comme on incriminerait un baromètre en cas de mauvais temps. Le lien métaphorique introduit que la sentence des agences de notation est aussi fiable qu’un diagnostic médical. Cela lui permet d’enchaîner sur la mise en cause des politiques. *
Autre exemple plus contemporain, Aurélien Barreau, qui souligne l’arrogance d’Elon Musk et de sa conquête spatiale, dit :
« Comme une dernière érection, les immenses structures phalliques des fusées signent un peu de la faillite d’une humanité arrogante et aveugle ».
Ici, Aurélien utilise la préposition « comme » pour comparer la fusée à un pénis.
Nous pouvons également adopter : « de même », « semblable à », « pareil à… » ou des verbes : « ressembler à », « sembler », « faire penser à »…
Le pouvoir pédagogique de l’ANAPHORE
L’anaphore est LA figure de style largement utilisée en marketing, politique, et plus généralement dans les discours de type argumentatif. Elle consiste en la répétition du même mot ou d’un même groupe de mots en tête d’une phrase. Elle produit un effet d’insistance et une certaine musique. Prenez Greta Thunberg et son fameux « Comment osez-vous ? » (« How dare you? ») scandé trois fois en 1 minute. L’anaphore produit un effet d’accumulation qui renforce la charge émotionnelle du discours. Il y a également le plus récent « Nous sommes en guerre » prononcé à sept reprises par Emmanuel Macron le 16 mars 2021, en direct depuis l’Élysée.
Plus généralement, les figures de style créent des correspondances inédites (le sexe masculin et la fusée spatiale, la covid et la guerre…). C’est le propre de la langue poétique. D’ailleurs, les poètes, romanciers, auteurs, ou même chanteurs, rappeurs, sont une source d’inspiration infinie pour enrichir son vocabulaire.
Je pense à Alain Damasio, écrivain engagé de science-fiction (La Horde du Contrevent), qui joue sans cesse avec les mots.
Jouer avec les mots
Pour enrichir son écriture, Alain Damasio fait la chasse à la conjonction « mais ».
« Mais », selon lui, est trop utilisé, elle crée artificiellement une opposition binaire, manichéenne, et aboutit à un système de pensée pauvre. Nous pouvons par exemple remplacer le « mais » par d’autres connecteurs logiques d’opposition : cependant, or, en revanche, alors que, pourtant, par contre, tandis que, néanmoins, pour sa part, d’un autre côté, en dépit de.
Diversifions nos arguments
Comme en cuisine, pourquoi se contenter du poivre et du sel alors que nous disposons d’une infinité d’épices pour révéler l’ampleur du monde ? Je m’amuse de temps en temps à chercher des synonymes sur le fantastique site du cntrl Alain Damasio, lui, tient un carnet où il note ses synonymes et jeux de mots. Il tripote les mots en changeant les préfixes. Par exemple, en partant du radical « former », il aboutit à « transformer », « désinformer », « performer », « se conformer »…
ll tord les sonorités et parfois crée de nouveaux mots.
Enfin, pour imager et enrichir vos prises de parole, rien de mieux que d’exemplifier vos idées. Je vous laisse avec un exemple d’argumentaire de Gaël Giraud, l’un de mes orateurs préférés. G. Giraud est un économiste, prêtre jésuite français, spécialiste en économie mathématique.
« On utilise des indicateurs économiques très mauvais. Le pire de tous est probablement le PIB. Le PIB (le Produit Intérieur Brut) sert de boussole universelle à toutes les politiques publiques. Par exemple, demandez-vous quelle est la boussole qui sert à discuter des projets de loi de finances en France, eh bien, c’est le PIB. Sauf que, par exemple, si vous avez un accident sur l’autoroute, parce que vous répétez votre talk TEDx en conduisant, cela fait augmenter le PIB. Si vous polluez une rivière, cela fait augmenter le PIB, parce qu’il faut dépolluer la rivière, désintoxiquer les gens qui sont malades et les soigner.Tout ça sont des services marchands qui font augmenter le PIB. Un économiste britannique, John Maynard Keynes, disait dans les années 30 : “Pour augmenter le PIB, ce n’est pas compliqué, le lundi, vous faites faire des trous, le mardi, vous faites reboucher les trous, le mercredi, vous refaites faire des trous, etc. En fait, cela veut dire que le PIB nous envoie dans le mur doublement, parce qu’il nous empêche de prendre en compte la raréfaction des ressources naturelles, alors que c’est un enjeu majeur pour la transition écologique. Et en plus, il nous conduit à une vie absurde dans laquelle beaucoup d’entre nous ont ce qu’on appelle des “ bullshit jobs ” qui consistent à faire des trous, les reboucher, les refaire, etc. (…). La plupart d’entre nous, économistes, ignorons totalement les rapports sociaux. Et si vous réfléchissez une seconde, vous vous dites : Au fond, qu’est-ce qui fait le sel de l’existence ? Les relations humaines qu’on entretient les uns avec les autres. Les relations d’amour, d’amitié, de fraternité. Si on oublie ça, on est peut-être un peu passé à côté de l’essentiel de la vie. »
Inspirons-nous de la diversité des exemples employés par G.Giraud : il jongle entre l’exemple factuel, historique, économique et enfin émotionnel. Notez la métaphore de la boussole pour désigner le PIB. Elle induit que le PIB, comme une boussole, est notre repère moral, notre axe de conduite.
Alors, à nos notes, forgeons nos images et diversifions nos exemples ; et comme le dit Confucius : « Une image vaut mille mots ».
*Patrick Bacry Les figures de style et autres procédés stylistiques