Logos, ethos, pathos avec Alexandria Ocasio-Cortez
Qu’est-ce que la rhétorique ?
La rhétorique est l’art de persuader par le discours. Ce qui me subjugue dans l’art de persuader est le pouvoir d’action de la parole. La parole n’est plus un simple langage, elle est opérante et devient une force agissante.
D’ailleurs, la parole peut même être performative, quand la parole est une action. En effet, certaines phrases ont la capacité d’accomplir elles-mêmes l’acte qu’elles désignent. Prenez un maire qui s’apprête à sceller un mariage. Lorsqu’il prononce la phrase « Je vous déclare mari et femme », il les fait littéralement passer de l’état de fiancés à celui de mariés : la réalité a été modifiée par sa parole. De même, il suffit à un président de séance de dire « Je déclare la séance ouverte » pour ouvrir effectivement la séance. L’énoncé performatif, par le seul fait de son énonciation, permet d’accomplir l’action concernée.
Évidemment, vous et moi ne sommes a priori pas des maires ou des présidents de séance. Cependant, il existe des techniques pour rendre sa parole extrêmement efficace et pousser ses interlocuteurs à agir.
Cher Aristote…
Pour Aristote, l’une des clés de l’efficacité du discours est la diversification de la parole.
Le philosophe grec introduit dans son ouvrage La Rhétorique, son triangle persuasif, essentiel pour se faire comprendre, être cru et donner envie à ses interlocuteurs de nous suivre.
Que nous dit Aristote ?
Il faut alterner entre logos, pathos et ethos.
- Le logos, « la parole » en grec, désigne aussi la raison. C’est la parole rationnelle qui comprend l’argumentation proprement dite. Ce sont les arguments qui visent à expliquer, ou démontrer logiquement ; ils s’appuient notamment sur des faits ou des chiffres.
- L’éthos, qui signifie « la personne » est ce qui suscite le respect et la confiance.
- Enfin, le pathos, « les émotions », vise à créer du lien et à obtenir une adhésion émotive.
Pour voir comment jongler entre le logos, le pathos et l’éthos, prenons l’un des discours d’Alexandria Ocasio Cortez, la benjamine du Congrès de New York.
Dans un discours devenu viral, le 23 juillet 2020, l’élue démocrate de l’État de New York Alexandria Ocasio-Cortez (« AOC ») recadrait, devant le Congrès, Ted Yoho, un représentant républicain qui l’avait traitée de « fucking bitch » (putain de salope) ; et elle ne cesse d’alterner entre les arguments qui relèvent du logos, de l’éthos ou du pathos.
Son introduction de son discours est un récapitulatif des faits :
« Je vaquais à mes occupations, montant les marches, et le représentant Yoho m’a mis le doigt dans la figure, il m’a traitée de dégoûtante, il m’a traitée de folle, il m’a traitée de dérangée. Et il m’a traitée de dangereuse. Et puis il a fait quelques pas de plus, et après que j’ai qualifié ses commentaires de grossiers, il s’est éloigné et m’a dit, je suis grossier, vous me traitez de grossier. J’ai continué mon chemin, et je suis entrée et j’ai voté (…). Je suis sortie (du Capitole) et il y avait des journalistes. Devant les journalistes, le représentant Yoho m’a traitée, je cite, de s— p—. »
Le déroulé chronologique des événements présente une réalité que l’on ne peut nier, les journalistes étant témoins de la scène. Cet argument factuel fait appel à notre rationalité.
Alexandria Ocasio-Cortez passe ensuite à l’éthos, ce qui accrédite son discours.
« Et je tiens à préciser que les commentaires du représentant Yoho ne m’ont pas profondément blessée ou perturbée. Parce que j’ai été une travailleuse de la classe populaire. J’ai été serveuse dans des restaurants. J’ai pris le métro. J’ai marché dans les rues de New York. Et ce genre de langage n’est pas nouveau. J’ai été confrontée aux mots prononcés par M. Yoho et à des hommes qui prononçaient les mêmes mots que M. Yoho alors que j’étais harcelée dans les restaurants. J’ai jeté des hommes hors des bars qui avaient utilisé un langage comme celui de M. Yoho, et j’ai subi ce genre de harcèlement dans le métro de New York. »
Souvent, les détracteurs d’AOC lui reprochent son manque d’expérience et son jeune âge. Ici, en rappelant son parcours, AOC prouve sa légitimité en tant que représentante new-yorkaise. Elle souligne ici son expérience de la situation du harcèlement, et elle se connecte à sa base en évoquant qu’elle est issue du milieu populaire et qu’elle a déjà travaillé par le passé. C’est bien l’éthos (« la personne ») qui est en jeu ici. Avec cet argument, AOC suscite respect, confiance et prestance.
Elle joint ensuite un argument qui nourrit le pathos (les émotions).
Le pathos (du grec « ce qu’on éprouve ») se développe avec les sentiments ou affects sur lesquels l’orateur agit et cherche à toucher. Les émotions peuvent être diverses et variées : il y a la colère, le calme, l’amour, la haine, la crainte, l’assurance, la honte, l’impudence, la bienveillance, la pitié, l’envie…. Ici, on est assez proche du comédien puisque l’orateur doit susciter de l’émotion sans perdre le contrôle du discours.
Ici, AOC parle de son père décédé :
« Mon père, heureusement, n’est pas vivant pour voir comment M. Yoho a traité sa fille. Ma mère a pu voir à la télévision l’irrespect de M. Yoho à mon égard au sein même de ce congrès, et je suis ici parce que je dois montrer à mes parents que je suis leur fille et qu’ils ne m’ont pas élevée pour que j’accepte les abus des hommes. »
À vos crayons !
Pour convaincre, pensons à sans cesse diversifier nos arguments, en passant de l’argument factuel (une statistique, un chiffre) qui se rapporte à un fait réel qui s’est déroulé, à un argument logique qui fait appel à la raison de l’interlocuteur, à une histoire/anecdote ou vécu personnel qui crée un lien affectif avec l’audience et suscite l’identification.
Vous mêlerez ainsi constamment trois objectifs complémentaires qui sont les trois ressorts de la persuasion : « docere » (enseigner, instruire), « placere » (plaire) et « movere » (émouvoir).